Bovary Madame
Christophe Honoré
2025

Théâtre de Vidy

La nouvelle création de Christophe Honoré raconte Emma Bovary et sa quête éperdue de liberté. Elle fut décrite parfois comme inconséquente, mais l’est-elle vraiment ? Encerclée par les analyses littéraires et les adaptations, sait-on encore l’écouter ? Que dit de nous notre façon d’interpréter l’histoire de cette femme ?
Christophe Honoré convoque le cirque et le cinéma pour faire rejouer les épisodes les plus illustres de sa vie. Avant qu’Emma, incarnée par Ludivine Sagnier, revienne affirmer sa sensualité et sa liberté.

D’après le roman de Gustave Flaubert

La nouvelle création de Christophe Honoré raconte Emma Bovary et sa quête éperdue de liberté. Elle fut décrite parfois comme inconséquente, mais l’est-elle vraiment ? Encerclée par les analyses littéraires et les adaptations, sait-on encore l’écouter ? Que dit de nous notre façon d’interpréter l’histoire de cette femme ?
Christophe Honoré convoque le cirque et le cinéma pour faire rejouer les épisodes les plus illustres de sa vie. Avant qu’Emma, incarnée par Ludivine Sagnier, revienne affirmer sa sensualité et sa liberté.

D’après le roman de Gustave Flaubert

Générique

Bovary Madame
© Laurent Champoussin

Note

Je m’aperçois que la plupart des spectacles que je crée au théâtre ressemblent au fond à des séances de spiritisme. Esprits, êtes-vous là ? Qu’il s’agisse de faire revivre les écrivains de Minuit dans Nouveau Roman, les artistes morts du sida dans Les Idoles ou les membres de ma famille dans Le Ciel de Nantes. Comme si j’accordais au théâtre le don de la nécromancie. Cette fois, j’aimerais que le plateau soit hanté par un personnage romanesque et qui plus est peut-être le plus célèbre de la littérature française : Emma Bovary. Cette fois, j’aimerais non pas transformer des personnalités réelles en figures de théâtre, mais approcher un personnage romanesque comme on s’approche d’une personne dont on ne connait pas toute la vie.

Dans L’Art de la fiction, Henry James s’étonnait qu’un roman qui présente la destinée d’une épouse d’un médecin de campagne dans un bourg normand, puisse aboutir à un tel chef-d’œuvre : « les éléments à peindre sont en nombre infime, la situation de l’héroïne est pour ainsi dire minable, le matériau des moins prometteurs ; or tout cela va donner vie à une œuvre de génie… Les pauvres aventures d’Emma Bovary sont une tragédie pour cette raison qu’en un monde ne soupçonnant rien d’elle, la laissant sans aide et sans consolation, elle doit seul distiller le précieux et le rare. » La lutte démesurée et perdue d’avance qui se joue pour Emma Bovary entre sa réalité cruelle et ses aspirations romantiques fonde le mystère étonnant de ce personnage. Est-elle une sœur éloignée de

Don Quichotte ou bien juste une héroïne sans moyen dont on peut moquer la candeur et l’ignorance, ou bien incarne-t-elle, d’une manière flamboyante et frondeuse, et très moderne, le refus féminin face à la renonciation ? Emma Bovary a acquis au fil des lectures et des interprétations diverses, un statut de mythe féminin dont on ne cesse d’interroger la fonction symbolique.

Par une analogie étrange, quand je pense à Emma Bovary, c’est Martine Carol dans le film Lola Montès que je vois. Le cinéaste Max Ophüls met en scène son personnage titre, personnage imaginaire, comme une bête de cirque, offerte à la concupiscence et au mépris du public par un Monsieur Loyal monstrueux. Lola, ex-courtisane qui fit tourner les têtes couronnées, ne survit qu’en rejouant chaque soir, sur le mode de la pantomime, les épisodes les plus scandaleux de sa carrière. Comme un cauchemar, le film alterne les moments de cirque avec des séquences de reconstitution historique qui semblent émaner de la mémoire du personnage.

J’aimerais travailler la mise en scène de Madame Bovary dans un semblable double mouvement : La mise à distance et l’intimité, le spectacle et le réel, la parade et le sentiment vrai. En enchaînant les épisodes reposant sur les stations du récit : Emma au couvent, Emma à son mariage, Emma dans les bois, Emma dans le Fiacre… Emma Bovary n’est pas Lola Montès, dont elle aurait certainement envié la vie romanesque de grande amoureuse, mais toute commune et banale qu’elle soit, sa carrière d’épouse adultère n’est pas moins scandaleuse. Et chez Flaubert, comme chez Ophüls, il s’agit bien d’un récit d’agonie. En la plaçant à la fois comme « actrice » d’elle-même et comme sujet à commentaires, j’ai dans l’idée de parvenir à cerner les contours de sa figure, de la même manière qu’on réalise une mise au point sur un visage qu’on filme.

Flaubert avait placé un sous-titre à Madame Bovary : « Mœurs de province ». C’est peut-être étrange, mais à mes yeux le cœur secret de ce projet, ce qui m’attire tant, est contenu dans ces mots « Mœurs de province ». J’espère par ce spectacle retrouver quelque chose de la petite ville où j’ai grandi, retrouver les commerçants, l’odeur du feu de bois, les ruelles de nuit, les rumeurs de jour, les sous-bois où l’on s’étend, les bals auxquels on rêve de participer à la ville voisine, et la certitude qu’on maquille en espérance à peine crue, que seul l’amour peut nous sauver.

Madame Bovary - Théâtre Vidy-Lausanne

Extrait

EMMA
L’arsenic, je ne l’ai pas avalé. Voilà. C’est tout. Il y avait Justin qui me disait de ne pas le faire, et ça me donnait encore plus envie de le faire, il suffisait de porter mes mains à ma bouche. Sentir la saveur âcre dans ma bouche. Peut-être une nausée ensuite. Un froid de glace qui monterait de mes pieds jusqu’au cœur… et j’ai décidé que non.

LOYALE
Qu’est-ce qui n’a pas eu lieu, Emma, qu’est-ce qui n’a pas eu lieu dans votre, vie jusque dans votre mort ?

EMMA
Pourquoi je ne suis pas morte ?

LOYALE
Pourquoi n’avez-vous pas vécu ?
(…)

EMMA
Certains soirs d’été tout pleins de soleil dans la ferme de mon enfance. Les poulains hennissaient quand on passait, et galopaient, galopaient… Il y avait sous ma fenêtre une ruche à miel, et quelquefois les abeilles, tournoyant dans la lumière, frappaient contre les carreaux comme des balles d’or rebondissantes. Ma mère était là et c’était des jours plein de bonheur, de liberté, d’espoir. Le jour de l’arsenic, il n’en restait rien. J’avais tout dépensé, toutes les aventures de mon âme. Comme un voyageur qui laisse quelque chose de sa richesse à toutes les auberges de la route. Ce n’est pas vous, Lheureux, qui m’avez dépossédée… C’est le couvent ajouté au mariage, ajouté à la maternité, ajouté à l’adultère… Il ne restait plus rien de moi…

 
Après

Partenaires

Production
Comité dans Paris & Théâtre Vidy-Lausanne

Coproduction
Théâtre de la Ville, Paris
TANDEM Scène nationale Arras-Douai
Le Quartz – Scène nationale de Brest
Bonlieu Scène nationale Annecy
Théâtre national de Bretagne, Rennes
Les Célestins, Théâtre de Lyon
Mixt, Terrain d’arts en Loire-Atlantique
La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale
TNN Productions
CDN Nice Côte d’Azur
Scène nationale Carré-Colonnes Bordeaux-Métropole
Scène nationale du Sud-Aquitain
Scène nationale de l’Essonne
Le Quai CDN Angers Pays de la Loire
La Coursive Scène nationale La Rochelle

Marlène Saldana
© Laurent Champoussin
Ludive Sagnier et Jean Charles Clichet
© Laurent Champoussin

Presse

Bovary Madame, Christophe Honoré quitte Proust pour Flaubert, autre rythme, autre souffle, mais une même pensée de la littérature qui animera sans nul doute le metteur en scène-cinéaste, l’un des rares qui sache adapter, c’est-à-dire trahir, la littérature au théâtre. Ludivine Sagnier n’a pas le visage de Bovary tel qu’on l’imagine, c’est une bonne nouvelle, elle imposera le sien.
— Transfuge, Oriane Jeancourt Galignani, 09.25

«Elle fait partie de notre troupe, même si elle n’avait plus joué pour moi depuis quelques années. Elle était Julie dans Les Chansons d’amour en 2007. Elle était Madeleine dans Les Bien-aimés en 2011. En 2012, elle a incarné au Festival d’Avignon l’écrivaine Nathalie Sarraute dans Nouveau Roman, ce spectacle qui était fondateur pour moi d’une façon de faire du théâtre où une partie du texte s’écrit au fil des répétitions. Bien que nos trajectoires professionnelles se soient éloignées, nous ne nous sommes jamais perdus de vue. Elle est restée proche de Jean-Charles Clichet, de Julien Honoré, mon frère, des acteurs qui font partie de la bande. Ce qui me touche chez elle, c’est qu’elle dégage une séduction, une sensualité forte, tout en étant ailleurs. Elle n’est pas dupe de ce qu’on projette sur elle, elle est très lucide. Ludivine est aussi une lectrice, on sent qu’elle a du plaisir à se plonger dans les textes littéraires. Elle avait pour moi l’étoffe de !’Emma que je recherchais. Et puis j’aimais bien cette idée qu’après avoir été Nathalie Sarraute, cette écrivaine qui, tout comme Alain Robbe-Grillet, Claude Simon ou Michel Butor, voyait en Flaubert un novateur, elle se retrouve dans son monde.»
— Le Temps, 15.09.25

Il y eut Marcel Proust, Claude Simon, et donc maintenant Gustave Flaubert. L’adaptation au théâtre de Madame Bovary, monument de la littérature et succès d’édition mondial traduit 456 fois, est son nouveau défi. Christophe Honoré s’est emparé du sous-titre du roman, « Moeurs de province», pour ajouter une touche autobiographique à sa pièce. Le complexe villageois d ‘Emma le touche particulièrement, lui qui a grandi à Rostrenen, 3 000 habitants, dans les Côtes-d’Armor (à l’époque Côtes-du Nord) : « J’avais l’idée que rien ne se  passerait jamais dans cet endroit, et que rien ne s’y passerait jamais pour moi si j’y restais. Je vivais cela comme une sorte de malédiction.» […] « Comment faire passer l’idée que l’on ferme les volets à 4 heures de l’après-midi parce q u’il n’y a plus rien à faire? les mots et les images ne suffisent pas. Madame Bovary étouffant dans sa campagne est un peu sa madeleine, quand il pense à son destin bousculé, après avoir quitté la Bretagne pour la capitale à 24 ans. « Après, tout s’est enchaîné, j’ ai publié mon premier livre grâce à Geneviève Brisac, qui dirigeait l’Ecole des loisirs, puis Serge Toubiana m’a fait écrire dans les Cahiers du cinéma…» C’est pourquoi il n’a pas voulu abandonner Emma Bovary à son sort, et a inventé sa propre suite romanesque à l’histoire. «J ‘aimerais que la pièce échappe à la tragédie». confie-t-il.
— Le Monde, Pascale Nivelle, 19.09.25